Histoire archives et mémoire

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Archimem, investigations croisées

Ce blog est une investigation sur les liens entre Histoire, archives et mémoire. Il traite aussi de la fiction mémorielle. Cette courte introduction est la carte de visite du blog.

Pour l’instant, l’ensemble du blog est un thème suivi, qui se lit dans l’ordre visible des articles (l’ordre anti-chronologique).

Quant à la dimension personnelle de l’histoire, nous renvoyons au website généalogie Guiers. Ci-contre le lien retour vers ce site.

Dimensions historiques et mémorielles

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Histoire et dimensions historiques

Les événements qui affectent les sociétés humaines sont liés entre eux. Le philologue, l’historien, l’éthologue examinent ces liens, ainsi que le rapport entre intentions et événements.

Parallèlement, les groupes humains se distinguent les uns des autres par des codes, des modes et des attitudes, mais également par un imaginaire mémoriel spécifique.

Trois dimensions coexistent donc.

Celles des faits, faits liés, conservation de l’information dans le temps ou archivage, qui sont comme un paysage.

La dimension mémorielle, une fiction produite par le groupe humain, peut n’avoir qu’un lointain rapport avec l’enchaînement précédent.

La dimension de l’Histoire qu’emprunte le philologue, l’historien, l’éthologue, pose un regard transcendant sur l’enchaînement factuel.

Mais leurs analyses englobent également le fait mémoriel, révélateur de la part du réel qui est transformée en mythes fondateurs de l’identité du groupe.

 

Fonction et fiction mémorielle

 La mémoire d’un peuple, la mémoire d’un groupe, est une fonction de l’imaginaire collectif visant à consolider l’appartenance.

Le fait mémoriel peut être un événement réel ou imaginaire.

Jeanne d’Arc est une figure mémorielle de la France qui a eu une existence réelle.

Mais le vase de Soissons n’a jamais existé, pas plus que Roland de Roncevaux.

Le mythe du vase de Soissons est commandé avec la Geste des rois Francs.

 Qu’il soit réel ou imaginaire, le fait mémoriel appartient à la mythologie du groupe, à ses mythes fondateurs. Le fait mémoriel ne se décrète pas du jour au lendemain.

Pour preuve, rien de substantiel ne distingue la résistance de Camulogène de celle de Vercingétorix.

Pourtant, seul le second a rejoint l’imaginaire mémoriel des français.

Faits génériques et faits liés

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Les faits génériques

Afin de mettre en scène ces questions avec simplicité, nous partirons de faits simples dont la qualification ne souffre aucun doute.

Choisissons l’homicide volontaire. Sa qualification va de soi.

Imaginons quelques exemples d’homicides.

1. Lors d’une guerre, un soldat tue un autre soldat.
2. Le dirigeant d’un État fait tuer quelqu’un au nom de la raison d’état.
3. En 1942, un résistant français tue un soldat de l’armée d’occupation de son pays.
4. Dans les 2000’s, un résistant afghan tue un soldat de l’armée d’occupation de son pays.
5. En janvier 1757 Damiens commet une tentative d’homicide contre Louis XV.
6. Dans les 1970’s un groupe actif en Europe exécute tel ou tel suppôt du capitalisme mafieux.
7. Un particulier assassine un autre particulier.

Les faits liés ou correlés

Comme paradigme de corrélation à l’événement initial, choisissons la peine encourue par les auteurs des homicides, du fait de la commission de l’acte.

Leur partition en deux groupes est évidente.

D’une part, les cas 1 et 2 ne donnent lieu à aucune poursuite ni à aucune peine.

D’autre part, les auteurs des exemples 3 à 7 seront condamnés par la justice, selon le barème des peines en vigueur au moment de la commission de l’acte.

Remarquons toutefois que le cas numéro 2 est loin d’être clair. Les dirigeants peuvent donc vous supprimer un homme, comme qui rigole, dans un trou de boulin. S’il y a méprise, comme pour les fiancés de Haute-Provence en 1962, un État peut ne jamais présenter la moindre excuse aux proches des victimes. Et, en 2011, on a vu que les USA peuvent envoyer un missile tuer un de leurs propres ressortissants, en dehors de tout protocole judiciaire.

Cela crée un débat qui retentit aussi sur la légitimité morale des actes dont l’intention socio-politique est avérée : en quoi un dirigeant d’État aurait-il plus de légitimité à ces commandites immondes que le dirigeant lucide d’un groupe actif ?

Donnée archivistique et fait mémoriel

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L’historien dépend de la consignation

Prenons appui sur les cas 5, 6 et 7. Projetons-nous dans deux ou trois cent ans.

L’historien se penche sur l’assassinat d’un commis voyageur dans les années 1850, puis sur la tentative d’homicide de Damiens contre Louis XV en janvier 1757, puis sur l’exécution d’un suppôt du crime organisé et du capitalisme mafieux par un brigadiste, un actionniste ou un baderiste dans les années 1970.

Nous partons du principe, très réaliste au demeurant, que les enregistrements archivistiques de ces affaires existeront toujours dans deux ou trois cents ans.

Notre historien fait sa recherche, il trouve, il écrit, il est fort content de son travail.

Il apparaît que la permanence de l’enregistrement archivistique est une donnée factuelle de base, aussi factuelle que le fait auquel l’historien applique son regard.

L’historien dépend de cette consignation pour y poser son regard.

Mais ce regard est une lecture transcendante des faits, qui ne saurait être assimilée ni aux faits ni à leur poids affectif ou mémoriel.

 

Un abime jusqu’à l’imaginaire mémoriel

Laissons l’homme de l’art à d’autres recherches que lui dicte  sa passion, l’Histoire.

Notre question : pouvons-nous prédire la rémanence mémorielle de chacun de ces trois faits dans l’imaginaire du peuple français à ce même horizon ?

Dans le cas 7, nous pensons être apte à le faire.

Mais dans les cas 5 et 6, bien malin qui pourrait le dire. Nous ne nous sentons pas assez visionnaire pour y parvenir.

Seul est quasi-certain que l’assassinat d’un commis voyageur dans les années 1850 n’atteindra jamais la dimension mémorielle.

Déjà de nos jours, l’acte de Damiens doit être produit pour être évocateur. Il n’est guère spontanément évoqué. Un abîme s’étend jusqu’au mythe fondateur.

L’oubli total des cas 5 et 6 et 7 par la mémoire populaire n’est nullement impossible.

Mais gardons-nous de conclure à la place du temps souverain, des figures mémorielles se sont forgées dans l’Histoire récente. Pensons par exemple à Louis Pasteur.

En conclusion, la préservation de l’enregistrement des faits n’a strictement rien à voir avec la mémoire ni avec la dimension mémorielle.


Point de mémoire sans hommes

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Les cas 3 et 4

Pour entrer dans l’imaginaire mémoriel du groupe le fait doit être porté à sa connaissance. Il faut aussi que suffisamment de personnes lui donnent la coloration sémiotique adéquate.

Un fait n’est rien d’autre que son contenu. Le fait ne porte pas en lui sa dimension sémiotique. Cette dernière appartient à l’imaginaire humain.

Au début des 1940’s si les nazis avaient eu le dernier mot, les résistants français auraient conservé leur définition légale de terroristes. De même, dans les 2000’s si les bourreaux occidentaux parviennent à réaliser leur objectif, détruire l’Afghanistan, les résistants de ce pays martyr conserveront leur définition légale de terroristes.

On ne connaît pas l’avenir à l’avance.

En france, quand Charles De Gaulle fut condamné à mort par contumace  le 2 août 1940 (lequel disait: « je suis un soldat français à qui incombe le devoir de parler seul au nom de la France »), personne n’aurait su dire à cet instant qu’il échapperait à la sentence (si le Royaume Uni avait été envahi…). Il est, par contre, certain que la peine fut régulièrement prononcée, de même que les résistants étaient légalement des terroristes, cela est indiscutable.

Mais, point de mémoire sans hommes. Le génocide du peuple viêtnamien par les USA, nous l’a bien démontré. La destruction délibérée et systématique du peuple afghan, par la volonté d’humiliation des peuples propre aux USA (pays construit aux 18ème et 19ème siècles sur la destruction systématique du peuple américain), peut aboutir au même résultat.

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La mémoire se construit dans le temps

La mémoire se construit dans le temps. Un fait n’est rien d’autre que son contenu. Sans construction, sans étais, le fait ne peut pas prendre de l’épaisseur et de la saveur. Comment l’affect associé à son épopée mémorielle pourrait-il lui venir ?

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La fiction mémorielle est ethno-géographique

Qu’il soit réel ou imaginaire, le fait mémoriel appartient à la mythologie du groupe, à ses mythes fondateurs. Le fait mémoriel ne se décrète pas, il naît au sein d’une entité ethno-géographique au sens large du terme. On peut employer le terme d’ethno-topologique ou ethno-typologique.

Par exemple, pour tout un groupe de personne, la geste de Bob Marley reste une geste mémorielle importante. Constatons que Waterloo est un fédérateur mémoriel des anglais, non pas des français ni des italiens. Constatons encore que, parmi toutes les horreurs commises durant la seconde guerre mondiale, en France le martyr d’Oradour-sur-Glane porte une charge affective mémorielle particulière.

Certaines figures mémorielles ont leurs déclinaisons locales. Robin des Bois anglais ou anglo-celtique se retrouve en France comme Thierry la Fronde, ou sous la forme du Haïdouk en pays balkaniques. Inversement, une figure mémorielle locale comme Henry Ford a un statut mondial.

L’imaginaire mémoriel n’a pas plus vocation à être fidèle à la réalité factuelle qu’à la trahir. De ce que l’on sait de Jeanne d’Arc par les actes, sa figure mémorielle semble assez fidèle à son parcours. Tandis que la figure mémorielle de Saint-Louis est très décalée du dangereux fanatique, adepte des massacres et des génocides, despote intolérant qu’il était.

De même pour Henri IV, chef de guerre, chef de parti, sectateur, dont la poule au pot occupe toute l’étendue mémorielle de sa geste.

L’inverse est aussi observé, une figure devenue mémorielle pour sa vision, reste un emblème pour ceux qui l’ont trahi. C’est le cas de Thomas Jefferson (lequel disait: « Il devrait y avoir une révolution tous les 20 ans »; « Se révolter contre la tyrannie, c’est obéir à Dieu » ; « Les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat »…). Thomas Jefferson reste une grande figure mémorielle des USA, pourtant premier  état terroriste au monde, entièrement dévolu à l’aliénation des peuples, au nom des intérêts de la finance mafieuse et du paiement par le reste du monde des retraites de ses citoyens.

Encore des contrastes : la stature historique immense du Mahatma Ganghi ou la stature humaniste puissante d’un Louis Pasteur, leur donnent place dans la fiction mémorielle de plusieurs groupes socio-culturels. Cette stature est-elle donc un préalable ? Eh bien non, la stature historique insignifiante d’un Raspoutine ne lui donne pas moins place dans la fiction mémorielle de son aire.

L’érection de la figure mémorielle y apparaît une nouvelle fois imprévisible, indépendante du support biographique factuel.

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La durée du fait mémoriel

Existe-t-il un lien obligé entre le contenu et la durée de faveur dont va jouir le fait mémoriel ? Difficile de le croire.

Mythe ou fait avéré, le fait mémoriel de contenu insignifiant peut durer mille ans, tandis qu’un événement de large audience connaîtra une vie de symbole plus éphémère. Le statut mémoriel reste malgré tout antinomique de fugacité.

Pour que dure la dimension mémorielle, le narratif doit préserver une dimension mythique ou mythologique. Sans quoi, le fait mémoriel vieillit selon les lois de la mode et de la désuétude.

Attila constitue une figure mémorielle presque universelle du fait de sa dimension mythique ou mythologique. Au fait, quelle connotation attribuez-vous à Attila ? Voyez comme il n’est pas si facile d’éclaircir cela en vous ! En Hongrie ou en Turquie, Attila demeure un prénom donné.

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Mille-feuilles, électrophorèse du sens

De retour à nos sept exemples.

L’affirmation selon laquelle la qualification des actes ne souffre aucun doute est le germe même du doute. Un acte peut se décrire. C’est tout. Aucun acte ne porte en soi une quelconque qualification.

Entre la qualification et l’intention, existe un éternel balancement. L’intention est du domaine de l’éthique. La loi, qui qualifie, peut tirer de l’éthique une partie de son principe. La loi peut aussi défendre sans limite les intérêts privés d’un groupe dominant.

Ce qu’illustre l’article 35 de la constitution de l’an Un de la République Française, à savoir, « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Le mérite subsidiaire de nos exemples est d’opérer un renversement de perspective, propre à donner sérieusement à réfléchir sur l’éthique et sur la légitimité.

L’essentiel, toutefois, n’est pas là.

Les sept exemples ont été choisis afin de séparer, par électrophorèse, des feuillets que nous voyons souvent agglutinés au point de les confondre.

Trois couches, dont deux transparentes, veulent bien se séparer assez gentiment, fait judiciaire, Histoire et mémoire.

C’est pourquoi nous avons fait le choix des homicides. Nous bénéficions de la stabilité de la qualification et de la pertinence dans la cohérence. Même sur une durée de deux mille ans, un homicide reste un homicide. Et nos exemples sont choisis si limpides que la régularité du prononcé de la peine ne fait aucun doute (légitimité si l’on veut).

Mais nous bénéficions aussi du salutaire renversement de perspective entre les trois couches (l’exemple de Charles De Gaulle condamné à mort par contumace durant la seconde guerre mondiale).

Cependant, aux yeux de maintes personnes, deux couches se font tirer l’oreille pour se séparer,  la nécessaire sélectivité des faits signifiants relatifs à une problématique historique donnée d’une part, et le fait mémoriel ou fait de mémoire d’autre part. D’où le groupe 5, 6 et 7.

Plus haut fut posée l’hypothèse qu’aucun des exemples visés en 5 ou 6 ou 7 n’atteindrait la dimension mémorielle. Toutefois, pour l’historien, deux sous-groupes s’y déssinent à l’évidence. L’historien a peu de chance de considérer jamais comme traceur d’Histoire l’assassinat d’un commis voyageur, pour le voler, en 1850.

Tandis que le martyre de Damien fait question pour l’historien, du seul fait que, l’acte accompli, l’auteur est absolument certain de son propre martyre pour avoir rempli une simple fonction d’alerte, sacrifice au bénéfice de l’humanité autour de soi, sacrifice pour avoir porté atteinte à un criminel agissant contre le genre humain à grande échelle et à titre habituel (en l’espèce Louis XV).

Idem pour le cas 6 observant Brigades Rouges ou Action Directe ou Bande à Bader dans les 1970’s. L’acte accompli, l’auteur est absolument certain de son propre martyre, du sacrifice de toute son existence pour avoir rempli une simple fonction d’alerte à l’égard de l’humanité.

Tout cela fait question pour l’historien dans les termes habituels de la problématique historique (contexte, temps, facteurs étiologiques, sens, perception par les contemporains, etc.)

Ainsi, sont alors séparés les deux derniers feuillets. La décantation des faits historiques n’est, en aucune façon, assimilable à la dimension mémorielle.

En barattant tous les événements, l’historien obtient un beurre qui devient la pâte qu’il travaille. Tandis que le mythe mémoriel ne résulte jamais d’un processus laborieux pas plus que rationnel.